“Énigme posée à notre humanité” 1, sujet éminemment tabou dans notre société, le suicide est par définition une problématique difficile et troublante. Encore plus lorsqu’il est question d’une personne que l’on connaissait bien.

Les études scientifiques entreprises depuis de nombreuses années en suicidologie ont pour objectif de comprendre afin de prévenir. Ce travail de recherche s’est heurté à l’existence de mythes. Ces derniers, comme le note Pierre Morissette, ont “une fonction sociale importante : protéger l’environnement contre les divers sentiments (culpabilité, agressivité, impuissance) suscités par le comportement suicidaire et fournir des explications sécurisantes.” 2

Des mythes et des idées reçues qu’il convient néanmoins de déconstruire ou de nuancer, tant ils véhiculent encore aujourd’hui des idées contestables ou des généralisations hâtives à l’égard des comportements suicidaires.

Voici donc quelques éléments de réflexion afin de dépasser les principales idées reçues sur le suicide.

  • "La personne qui parle de suicide ne passe pas à l’acte."

    Faux. 75% des personnes décédées par suicide l’avaient annoncé ou avaient donné des indices de leurs intentions. Quasiment personne ne se suicide sans avoir fait connaître son désespoir à quelqu’un.

  • "Sa tentative de suicide, c’est du cinéma, juste pour attirer l’attention"

    Dans le même registre, on entend souvent dire que « quand on veut vraiment mourir, on ne se rate pas. » C’est faux : une tentative de suicide n’est jamais anodine, quels que soient les moyens mis en œuvre et il faut vraiment souffrir pour penser au suicide, sans quoi on trouve d’autres moyens d’attirer l’attention. De manière générale, tout passage à l’acte constitue un appel qui, s’il n’est pas entendu, risque de s’exprimer par la suite de manière plus violente.

  • "Les personnes suicidaires souffrent de troubles mentaux."

    L’idée que le suicide relève de la maladie mentale est encore très répandue mais elle est en grande partie erronée. Certes, il existe une corrélation entre suicide et maladie mentale, notamment chez les sujet psychotiques. Néanmoins, le pourcentage de malades psychiatriques qui mettent fin à leur jour, proportionnellement aux 11 000 suicidés par an, est très faible. En vérité, la plupart des personnes qui en arrivent là sont comme tout le monde. Cependant, certaines ont accumulé des difficultés (affectives, scolaires, professionnelles, financières…) devenues trop dures à supporter ou doivent faire face à un passé traumatique qui leur fait envisager le suicide comme la seule solution. Le suicide n’est donc pas une maladie. Il traduit en revanche un profond mal de vivre.

  • "Parler du suicide encourage le passage à l’acte"

    Non, bien au contraire ! Parler du suicide n’incite pas les gens à se suicider, mais permet de briser l’isolement, d’exprimer ses souffrances, de faire entrevoir d’autres possibilités. Le dialogue représente l’occasion pour la personne qui souffre de se sentir reconnue et comprise dans son mal-être et ainsi de faciliter une demande d’aide et de soutien.

  • "Il faut être courageux ou lâche pour se suicider."

    Le suicide n’est ni lâche ni courageux. Certes, juger l’acte suicidaire de cette manière peut permettre parfois à ceux qui restent de se rassurer (“Quel courage, quelle dignité d’être parti ainsi” ou, à l’inverse, “Quel lâche de nous avoir si cruellement abandonnés”). Mais il faut garder à l’esprit que la personne suicidaire est dans une grande détresse : elle ne tente pas de mettre fin à ses jours par lâcheté ou par courage mais parce que sa vie est devenue insupportable, qu’elle ne perçoit plus d’autres solutions et qu’elle est désespérée. Dans son passage à l’acte, il n’est question pour elle que de souffrance et non de valeurs morales.

  • "Les personnes qui pensent au suicide paraissent nécessairement déprimées."

    Non, c’est parfois même le contraire. Sous un extérieur jovial, une apparence de “clown” peut se dissimuler une grande tristesse. Utiliser l’humour ou se donner un air de “dur à cuire” est une manière de pallier une souffrance intérieure. C’est un masque que les personnes se mettent, souvent pour rassurer leur entourage. Preuve qu’il y a souvent un grand écart entre la réalité du vécu intérieur et l’image que donne d’elle-même la personne suicidaire.

  • "Le suicide est héréditaire."

    Faux. Le « gène du suicide » n’existe pas, le suicide n’est pas héréditaire. Si l’on constate parfois plusieurs cas de suicide dans une famille, c’est parce que le suicide d’une seule personne peut influencer les autres membres de la famille et ce, sur plusieurs générations. Ce qui se transmet alors, c’est la souffrance qui n’a pas été soignée. D’où l’importance de la parole.

  • "Suicidaire un jour, suicidaire toujours."

    Faux. Le suicide n’est pas une fatalité et il est possible de retrouver le goût de vivre. C’est le leitmotiv de notre association : il y a 1 espoir ! Pour autant, l’amélioration consécutive à une tentative de suicide ne signifie pas que le danger est écarté : la grande majorité des récidives se produit dans les mois qui suivent la tentative de suicide. Il faut donc être très vigilant et se garder d’associer une bonne humeur soudaine à la fin du risque suicidaire.

  • "Le suicide se produit sans avertissement."

    Si tel était le cas, cela signifierait qu’on ne peut pas faire de prévention. Or, le suicide est rarement imprévisible, pas plus qu’il n’est spontané 3. La majorité des personnes en parle avant de passer à l’acte (entourage, médecin) ou manifeste un changement de comportement. On doit noter cependant que chez les adolescents et les personnes de nature impulsive, ce processus peut parfois se dérouler dans un laps de temps plus court. Ces signes précurseurs d’un acte suicidaire ne sont malheureusement pas forcément connus, reconnus ou compris. Sans parler du fréquent déni des proches qui souvent préfèrent ne pas voir ces signaux d’alerte. Car le suicide fait peur et malgré tout l’amour que l’on peut porter à un membre de sa famille, il y a des choses qu’on a du mal à accepter et envisager.

  • "C’était son choix."

    Dire et croire cela est souvent une manière, pour ceux qui restent, de se déculpabiliser ou pour la société, de se dédouaner de toute responsabilité de non-intervention. En réalité, le suicide n’est pas un choix, mais un non choix. La personne croit à tort qu’il n’y a plus d’autre solution pour arrêter de souffrir. Son geste suicidaire ne résulte donc pas d’une liberté de choix et d’action. C’est un acte que l’on commet sans être maître de soi-même. Dans cette mesure, dire que nous n’avons pas à intervenir n’est pas fondé. On peut tous être des acteurs de prévention du suicide, en se montrant simplement présents et à l’écoute.

Notes

  1. Arnaud Campéon, “De l’histoire de la prévention du suicide en France”, in Adsp n°45, décembre 2003, p. 35
  2. Pierre Morissette, Le suicide : démystification, intervention, prévention, 1984
  3. Le geste suicidaire est en effet le plus souvent le fruit d’un processus, du développement des idées suicidaires jusqu’à l’élaboration d’un plan précis. Notons cependant que chez les adolescents et les personnes de nature impulsive, ce processus peut parfois se dérouler dans un laps de temps plus court.

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